Chez les primo-intervenants – pompiers, secouristes, forces de l’ordre, personnels soignants d’urgence – la peur est un compagnon discret mais omniprésent. Elle s’invite au moment où l’alerte retentit, lorsqu’on s’élance vers l’inconnu, là où les autres fuient. Pourtant, loin d’être un frein, elle peut devenir une source précieuse d’action, de lucidité… et de motivation. Encore faut-il apprendre à la reconnaître, la comprendre et l’apprivoiser.
Une émotion archaïque, un mécanisme protecteur
La peur est une émotion universelle, ancrée dans notre cerveau archaïque. Elle est le fruit d’un mécanisme de survie hérité de nos ancêtres : face à une menace perçue, l’amygdale cérébrale s’active en une fraction de seconde, déclenchant la fameuse réponse « fight, flight or freeze » (combattre, fuir ou se figer). Ce système permet une réaction rapide sans passer par le filtre rationnel du cortex préfrontal.
Mais voilà le paradoxe : dans les métiers du secours, cette émotion – censée nous protéger – pourrait aussi nous paralyser, voire nous mettre en danger… si elle n’est pas canalisée.
Seuls 8 % de nos peurs sont fondées
Des études en psychologie cognitive estiment que seulement 8 % des peurs sont réellement fondées sur des menaces objectives et immédiates. Les 92 % restantes relèvent de projections, d’anticipations mentales ou de conditionnements passés.
➡️ Exemple : la peur de ne pas être à la hauteur, de rater un protocole, d’un effondrement d’immeuble qui n’est pas encore là.
Chez les primo-intervenants, ces peurs « périphériques » peuvent générer un stress inutile, altérer la prise de décision ou l’efficacité d’une mission. C’est ici que la préparation mentale entre en jeu.
La peur : de l’ennemie à l’alliée
Apprendre à distinguer une peur fondée d’une peur fabriquée, c’est déjà reprendre la main. La peur, en tant qu’émotion, n’est ni bonne ni mauvaise : elle est un signal. Ce qui fait la différence, c’est notre manière d’y répondre.
Ce que la peur active positivement :
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Une vigilance accrue
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Une mobilisation physiologique (adrénaline, rythme cardiaque, oxygénation)
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Une concentration ciblée
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Une capacité d’adaptation renforcée
Ce que la peur dégrade si elle est mal maîtrisée :
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Un jugement altéré (biais cognitifs)
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Une perte de motricité fine
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Une suractivation émotionnelle (pouvant mener à la panique)
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Une baisse de cohésion d’équipe
5 leviers concrets pour apprivoiser sa peur sur le terrain
Voici quelques outils issus de la préparation mentale pour transformer la peur en levier opérationnel :
1. Conditionner l’entrée en action
Créer des rituels de préparation (physique + mentale) permet au cerveau de reconnaître un cadre sécurisé et de limiter la suractivation de l’amygdale. Exemple : respiration centrée, ancrage corporel, activation d’un mot-clé.
2. Utiliser sa météo interne
Se jauger mentalement, émotionnellement et physiquement permet de nommer ce qui se vit, sans le subir. Exemple : “Je sens que j’ai peur, c’est OK. Elle me signale que c’est important.” L’exprimer à son équipage peut même renforcer la cohésion et l’adaptation collective.
3. Travailler avec des visualisations
Visualiser une situation à risque en se voyant y répondre avec calme et efficacité permet de créer un “schéma moteur émotionnel” rassurant et mobilisable, surtout si ces gestes sont ancrés par l’entraînement et les manœuvres.
4. Revenir à l’essentiel avec “PEAR” (la poire mentale)
En situation de stress intense, notre mental peut s’emballer et nous couper de nos repères. C’est là qu’un retour à l’essentiel devient précieux. L’un des modèles que j’utilise repose sur un acronyme simple : PEAR soit une poire en anglais. Il permet de comprendre l’influence de nos Pensées sur nos Résultats.
Cet outil de lecture, aussi simple qu’efficace, peut transformer la manière dont on accueille et canalise la peur sur le terrain.
Et si cette “poire” vous intrigue… n’hésitez pas à me contacter pour en découvrir les saveurs concrètes.
5. Le débriefing émotionnel
Après l’intervention, revenir sur les émotions vécues (en individuel ou en équipe) permet de libérer la charge émotionnelle, d’ancrer les réussites, d’identifier les points d’alerte… et de renforcer la résilience collective.
La préparation mentale : pas juste respirer, mais savoir comment et pourquoi
La préparation mentale n’est pas juste un ensemble de “petites techniques” à faire quand on y pense. Elle s’apprend, se pratique et s’affine avec des professionnels formés, ancrés dans la réalité du terrain, au contact des contraintes opérationnelles.
Respirer, faire sa météo interne ou visualiser : oui. Mais savoir quand, comment, avec quel objectif, c’est ce qui fait toute la différence entre une routine utile… et une rustine mentale.
La vraie préparation mentale n’est pas une théorie en l’air : elle est concrète, progressive, adaptée au terrain. Elle se construit comme une compétence – comme on apprend à utiliser un outil, à manier une radio, ou à monter une intervention.
Conclusion : lucides, pas invincibles
Les primo-intervenants ne sont pas des héros sans peur. Ce sont des humains capables d’agir malgré la peur, parfois grâce à elle. Leur force réside dans leur lucidité, leur engagement, et leur capacité à durer dans des environnements exigeants, grâce à des outils concrets et à un accompagnement de qualité.
« Maîtriser sa peur, ce n’est pas la faire taire, c’est apprendre à l’écouter sans la laisser nous guider. »
Et maintenant, à vous de jouer
Vous voici arrivé·e à la fin de cet article. Si vous êtes encore là, c’est sans doute que le sujet vous parle. Et si c’était le moment d’ouvrir un espace de connaissance avec vous-même ?
Prenez une feuille, placez-la en format paysage, et tracez deux traits pour créer trois colonnes. Ce petit exercice ne demande que quelques minutes et peut vous éclairer bien plus que vous ne l’imaginez.
🟡 Colonne 1 : Quelles sensations ressentez-vous lorsque la peur s’invite ? (palpitations, nœud à l’estomac, sudation, tensions musculaires… à quel endroit)
🟡 Colonne 2 : Vos réactions ont-elles tendance à relever du Fight, Flight ou Freeze (Combat, Fuite ou Blocage) ? Illustrez avec des exemples personnels, sans jugement, ce n’est que pour mieux vous connaître.
🟡 Colonne 3 : Quel est votre discours interne dans ces moments ? Quelles phrases vous répétez-vous mentalement ?
Je reviendrai sur ce sujet dans un prochain article. Mais si cet exercice vous interroge ou si vous souhaitez aller plus loin, je vous invite à me contacter – ne serait-ce que par curiosité – pour échanger ou envisager un premier accompagnement.
Souvenez-vous : la peur n’est qu’une émotion. Elle n’est pas un sentiment. Et cette nuance fait toute la différence. Mais vous le saviez peut-être déjà…
Désolé pour les puristes, mais une émotion, c’est un peu comme une musique qu’on n’arrête pas d’avoir en tête : pour qu’elle passe, il faut apprendre à l’écouter pour la laisser passer.
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