Un métier à haut risque, bien au-delà du feu
Être sapeur-pompier, c’est faire face quotidiennement à l’urgence, au danger et à la souffrance humaine. Chaque intervention est imprévisible et s’accompagne d’une forte charge émotionnelle. Un accident grave, un incendie mortel, une victime que l’on ne peut pas sauver ou encore une assistance à la population lorsque les autres services ne peuvent ou ne veulent pas intervenir : tous ces événements marquent les esprits. Parfois, les séquelles sont discrètes au début, mais elles s’accumulent et finissent par devenir insupportables.
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est une réalité pour environ 3,5 % des sapeurs-pompiers, selon une étude menée auprès des sapeurs-pompiers de Paris (pompiers.fr). Ce trouble ne résulte pas nécessairement d’un seul drame. Il peut être la conséquence d’une accumulation d’interventions difficiles ou de « l’intervention de trop », celle qui fait basculer.
« Ce jour-là, nous avons craint pour nos vies »
Témoignage de Matthieu Josse, sapeur-pompier professionnel et ancien collègue :
« Nous sommes en 2003, il enfile pour la première fois ses bottes d’intervention. Une autre facette de l’existence humaine, jusque-là inconnue, l’attend. Il quitte ainsi le monde de la jeunesse et l’insouciance pour découvrir un monde où la mort et la souffrance sont parfois au coin de la rue et viennent vous cueillir à grands coups de serpe. Alors, je m’excuse, ce n’est pas très gai pour une introduction, mais cela n’en reste pas moins vrai… À cette époque, il a 19 ans , il pense malgré tout être prêt. Et puis, il est tellement heureux de s’afficher avec ce bel uniforme. Il ressemble à son père, pompier lui aussi. Lors de ses premières gardes, il découvre la puissance des effluves ferreuses du sang, les plaies béantes, les os qui transpercent la peau et les membres qui s’articulent dans des positions plutôt improbables. Cela l’impressionne bien sûr, mais aider ces pauvres gens que le mauvais sort frappe, le valorise, gonfle son estime qui lui fait un peu défaut. Il se retrouve conforté dans ce choix de carrière à chaque garrot ou attelle mis en place. Et puis, il comprend aussi, même si c’est encore difficile de l’avouer aujourd’hui, que dans ce métier, on aime quand c’est grave.
Ce jour-là, il est équipier à l’ambulance. Son intégration, c’était il y a un mois tout juste ! Il est assoiffé d’interventions. Ça tombe bien, il est tôt ce matin-là et les bips sonnent déjà. Tous se jettent dans le véhicule pour venir en aide à une petite fille de 4 ans qui serait inconsciente à son domicile.
Dans cette chambre d’enfant où ils viennent de pénétrer en piétinant de leurs rangers cirés l’innocence des lieux, gît un petit corps inanimé sur son lit. La petite fille est entourée de ses peluches préférées. Son visage est foncé, tuméfié. Aussitôt, il sort le matériel de ventilation. Il connait les gestes par cœur. Mais alors qu’il entreprend la réanimation, son chef le retient, le coupe brutalement dans son élan. « Stop ! c’est trop tard ! Elle est en état de rigidité ». Mais comment ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ! Il ne comprend pas. Le chef ressort de la pièce et le laisse avec la victime. Les cris d’une maman fendent l’air comme des éclairs de l’autre côté de la porte. Il n’a encore jamais entendu de tels éclats avec autant de détresse. La détresse d’une Maman à qui on annonce qu’elle a perdu ce qu’elle a de plus cher.
Cette petite, que lui est-il arrivé ? Est-ce qu’on ne peut vraiment rien faire ? Il reste immobile, hypnotisé par son visage.
Sur le retour de l’intervention, il n’y a pas de débriefing. Pas un mot.
Jusqu’à maintenant, il avait déjà rencontré la crudité de la mort. Mais chez des personnes plus âgées et avec des causes de décès plus évidentes. Ce jour-là, il est rentré de sa garde bouleversé, avec un million de questions sans réponse, se projetant dans ce drame. Et si cela avait été son petit frère à la place de cette petite fille ?
Vingt ans plus tard, il m’arrive de repenser à ce visage et mon esprit est de nouveau assailli par ces interrogations.
Vous l’aurez compris, ce jeune de 19 ans, c’était moi.
Au-delà de l’envie de parler de moi à la 3ème personne, je souhaitais, avec cette introduction, vous racontez le moment où mon regard a probablement changé sur ce qu’est être pompier.
J’ai compris que ce métier n’impacte pas seulement le corps, mais aussi l’esprit. Est-ce que pour autant j’avais déjà pris conscience de l’ampleur des dégâts que pouvaient causer de tels traumatismes? Je ne le pense pas.«
Comprendre le syndrome de stress post-traumatique (SSPT)
Le SSPT est un trouble psychologique qui survient après une exposition à un événement traumatisant. Chez les sapeurs-pompiers, ce traumatisme peut être causé par :
- Un choc unique : une intervention particulièrement marquante (enfant décédé, accident violent, perte d’un collègue).
- Un stress accumulé : l’effet répétitif des interventions difficiles qui érode progressivement la résilience.
- Une confrontation personnelle à la mort : être directement en danger lors d’une intervention.
Selon le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), le SSPT peut survenir après :
✔️ Une exposition directe à un événement traumatisant.
✔️ Le fait d’être témoin d’un drame.
✔️ L’annonce d’un drame touchant un proche.
✔️ Une exposition répétée à des images traumatisantes.
Les signes qui doivent alerter
Le SSPT peut se manifester différemment selon les individus, mais certains symptômes sont récurrents :
1️⃣ Reviviscence : flashbacks, cauchemars, pensées envahissantes.
2️⃣ Évitement : refus d’en parler, isolement, repli sur soi.
3️⃣ Hypervigilance : stress permanent, irritabilité, troubles du sommeil.
4️⃣ Engourdissement émotionnel : perte d’intérêt, détachement affectif.
5️⃣ Troubles physiques : fatigue, palpitations, douleurs inexpliquées.
6️⃣ Addictions et comportements à risque : alcool, médicaments, bigorexie (addiction au sport), conduite dangereuse.
Certains pompiers mettent du temps à reconnaître leur souffrance, pensant qu’il suffit de « tenir bon ». Mais ce silence aggrave souvent leur état. L’entourage peut ne rien voir, et tant que la personne touchée ne prend pas conscience de sa souffrance, elle reste enfermée dans une spirale destructrice.
🔹 « Une personne qui se noie dans une piscine a beau voir une main tendue, elle ne pourra remonter qu’en trouvant elle-même la force d’appuyer sur le fond pour refaire surface. »
« Si vous voulez comprendre mon histoire… »
Témoignage de Guillaume, sapeur-pompier professionnel
« Chaque intervention laisse une trace, mais on se persuade que ça va passer. Un jour pourtant, c’est l’intervention de trop. Pour moi, c’était un accident de voiture impliquant des enfants. J’ai fait ce que j’ai pu, mais l’issue a été dramatique. Après ça, je n’étais plus moi-même. J’ai perdu le sommeil, j’étais à cran tout le temps. À la caserne, je souriais, mais à l’intérieur, je m’effondrais. »
Comment accompagner les sapeurs-pompiers face au SSPT ?
Pour éviter qu’un pompier ne sombre dans le SSPT, il est essentiel d’adopter des stratégies de prévention et d’accompagnement.
1. Une réaction immédiate après intervention
- Débriefing opérationnel : échange avec l’équipe immédiatement après une intervention difficile.
- Défusing : temps de parole pour évacuer les émotions à chaud.
2. Une prise en charge structurée
- Écoute active : offrir un espace sécurisé pour s’exprimer sans jugement.
- Encourager la parole : reconnaître la souffrance sans minimiser.
- Proposer un suivi psychologique : consultation avec des spécialistes du trauma.
3. Des conseils pratiques pour les sapeurs-pompiers
- Ne pas s’isoler : parler à ses proches ou collègues de confiance.
- Préserver son sommeil : éviter les écrans et l’alcool avant de dormir.
- Pratiquer une activité apaisante : sport, yoga, méditation, arts martiaux…
- Se méfier des addictions : éviter l’alcool, les médicaments, alimentation transformée et la bigorexie.
- Limiter l’exposition aux réseaux sociaux : ne pas se replonger dans des images traumatisantes.
4. Des soins adaptés
- Psychothérapie : EMDR (désensibilisation par mouvements oculaires), tapping (technique de libération émotionnelle).
- Groupes de parole : échanger avec d’autres sapeurs-pompiers en souffrance.
- Soutien aux familles : car les proches sont aussi impactés par le trauma.
Un enjeu majeur pour les services d’incendie et de secours
Les GDO (Guides de Doctrine Opérationnelle) insistent sur la préservation du potentiel psychologique des sapeurs-pompiers. Certains SDIS commencent à investir dans des formations en santé mentale, mais d’autres, faute de moyens, improvisent des solutions peu adaptées.
Or, un pompier bien accompagné pourra mieux faire face aux traumatismes et continuer à exercer avec moins de chances de s’effondrer.
« Ce pompier lance l’alerte »
Un sapeur-pompier vendéen a récemment témoigné de son combat contre le stress post-traumatique et du rôle clé de son chien d’assistance. Son témoignage rappelle l’importance de briser le tabou autour de cette souffrance invisible.
📺 Regarder son témoignage
Briser le tabou pour protéger ceux qui protègent
Le stress post-traumatique ne doit plus être un sujet tabou. Il est essentiel que chaque sapeur-pompier puisse parler sans crainte, en sachant qu’il existe des solutions pour aller mieux.
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Si vous êtes sapeur-pompier ou responsable d’un SDIS et souhaitez mettre en place des solutions concrètes pour préserver le potentiel psychologique des équipes, contactez-moi pour un accompagnement personnalisé.
💬 « Le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de vaincre ce qui fait peur. » – Nelson Mandela
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